Chronique PAI 2022: La Rose des Carcasses

La Rose des Carcasses

Auteur: Wilhelmina Wilder

Édition : Auto-édité

Date: 2021

Genre: Fantastique

Logo du PAIEn compétition pour le Prix des Auteurs Inconnus 2022, catégorie « Littérature Imaginaire »

Vous vous êtes certainement déjà demandé ce qu’il se passerait si Jules Barbey d’Aurevilly, Thomas Mann, Pierre Corneille, Matthew Gregory Lewis, David Fincher, Charles Baudelaire, Ann Radcliffe, Ézéchiel, Jacques Cazotte et William Shakespeare se retrouvaient en 1920 au bal de la mi-carême du Magic City (si, si, c’est une question qu’on se pose tous les jours). Bon, déjà, Kam Hugh en ferait certainement un vlog, mais Wilhelmina Wilder, elle, en a fait un livre. Et quel livre !

Angleterre, XIXe siècle. Adrian Meredyth est un artiste très en vue de Londres. Toujours suivi par son fidèle valet, il va de mécène en mécène en évitant soigneusement la vie mondaine qu’il abhorre. Malgré tout, il ne peut échapper aux réceptions raffinées de son bienfaiteur du moment, Lord Pelham. Mais alors qu’il y assiste à contrecoeur, son hôte est assassiné et exposé dans une mise en scène macabre. Le meurtrier semble doté de capacités extraordinaires, et son identité risquerait de faire surgir les ombres de jadis…
Une nuit, dix ans plus tôt, a bouleversé la vie de l’orphelin crasseux qu’Adrian était alors. Cette nuit qui a fait de lui un aristocrate exaucé, non seulement par le talent, mais également par un véritable démon à la langue bien pendue. Le discret valet qui l’accompagne partout n’est autre que Melmoth, l’un des seigneurs de l’Enfer, à qui il a abandonné son âme en échange de sa servitude. L’artiste décide de mettre à profit cet incroyable pacte pour traquer l’assassin, quitte à déraciner un passé tragique.
Au croisement de Penny Dreadful et du Portrait de Dorian Gray, l’enquête morbide de La Rose des carcasses nous projette un tableau victorien aussi sublime qu’horrifique, aux côtés fantasques d’un démon malicieux, d’un esthète misanthrope et d’un dandy frivole. À savourer !

La Rose des Carcasses célèbre un mariage réussi entre polar rigoureux et fantastique baroque, nous présentant un couple équilibré, jamais désuni, où chacun instille la tension inhérente à son genre littéraire. Les épines de l’enquête comme les griffes du surnaturel clouent le lecteur subjugué à son fauteuil (ou son lit, son hamac, sa pelouse, sa bouée flamant rose géante -ce qui ici peut poser problème-, son canapé, son siège de métro ou son tabouret de bar selon le profil de lecteur). Mais où que vous fussiez « L’ombre du Mal planait sur [votre] tête, sinuait dans les airs comme une guivre noire qui s’enroulait autour de [votre] cou, sifflait continuellement à [votre] oreille, et répandait dans [vos] veines le venin glacé de la peur. ». Brr.

Les nuances de fantastique sont appliquées par touches subtiles, délicates, créant un jeu de clair-obscur, où s’animent les bouges et les hôtels particuliers de Londres du XIXème siècle. La plume de Wilhelmina Wilder en trace un tableau à la sensualité accomplie, de formes et de couleurs, mais aussi de sons, d’odeurs et de mouvements. « Les enlacements de la flûte et de la cithare épousaient les tournoiements de la danseuse, pareils aux battements d’un éventail attisant les flammes d’une passion ardente. »
L’écriture est vivante, et crée un monde fébrile, charnel, détaillé dans chacune des sensations et des émotions qu’elle nous fait ressentir. Grâce à un vocabulaire à la précision et au raffinement diabolique, décors et personnages surgissent à vos côtés et s’y meuvent avec une présence presque palpable… à nos risques et périls « Son visage allongé avait des traits remarquablement nets, pointus, coupants – si coupants qu’à les toucher, on se fût chapelé les doigts comme sur le tranchant affilé d’un rasoir. »

En de très rares occasions, le style pèche un peu par excès de sophistication, et bien que mon adjudant-chef déplore à qui veut l’entendre qu’on y bite rien, le seul contexte suffit pour moi à effacer ces légères intempérances d’une gourmande de mots telle que m’apparaît l’autrice.

Le rythme est aussi langoureux et maîtrisé que la langue ici. À ses longueurs voluptueuses succèdent avec une fluidité surprenante des accélérations vertigineuses, élancées sur le tremplin d’une intrigue soignée dont les éléments sont amenés avec un naturel confondant. Les personnages aux prises avec ces événements virevoltent, se dévoilent, se métamorphosent ou se dérobent, et chacun des protagonistes devient « attirant, parce qu’insaisissable, fascinant, parce qu’impossible à cerner ! », quels que soient leurs caractères, leurs défauts ou leurs turpitudes. En plus du soin apporté à l’élaboration de chaque personnalité, les relations tumultueuses entre elles sont traitées avec une finesse poignante. Leurs échanges et leurs dialogues sonnent avec une vibration personnelle, et, bien souvent, avec une ironie et un mordant dont l’humour sinistre fait mouche à chaque fois : « D’abord, vous éventrez cette nymphe charmante, et maintenant, vous m’invitez à la pédophagie ! Enfin, qu’est-ce qui ne va pas, chez vous ? »

Si l’intrigue principale baigne dans une réjouissante esthétique macabre sans être sordide, où l’on croise des messieurs « [pendus] par les boyaux à ce magnifique lustre au baccarat ruisselant de lumière et de sang frais » l’autrice en profite également pour distiller, çà et là, un discours sur l’Art réfléchi et vivace, sans mornes digressions ni lenteurs indigestes. L’Art est ici vigoureux, terrible, et donne au personnage principal toute sa profondeur et sa puissance, quand «armé de sa mine, il combattait à sa façon le spectre du trépas, en couchant sur le papier sa peur et son dégoût, excrétés, canalisés dans des images brutes. »

A contrario, les sous-textes sociaux du roman, malgré toute leur pertinence, leur intérêt et leur actualité, perdent parfois cette subtilité et cette dynamique que j’avais tant appréciées dans le propos artistique. Sans verser non plus dans l’apertaeportaeffringisme* outrancier, leurs représentations auraient, à mon sens, gagné à plus de pointillage et moins d’aplats. Mais enfin là, c’est surtout moi qui pointille, car c’est bien l’unique nuance de reproche que je peux faire à La Rose des Carcasses.

Un roman fascinant, fourmillant d’action et de références, qui joue aussi bien avec la symbolique que les nerfs de son lecteur arrimés à chaque page, jusqu’à une apothéose épique qui ne laisse qu’un seul regret… devoir le refermer.

Tom Larret

* L’enfoncement de portes ouvertes (joli doublé, non ?)

Les autres chroniques des jurés du PAI:

EamLL sur Booknode.
Extrait : « Une plume magnifique, sculptée et ciselée à l’image de toutes les œuvres décrites dans le texte »

Sur le blog Les mots entrelacés.
Extrait : « Une odeur de soufre se mêle au parfum des roses. »

Sur le blog de Snow Bulle de livre.
Extrait : « Le vocabulaire raffiné tout au long du livre rend parfois la lecture ardue mais contribue grandement à l’ambiance. »

Voyage au coeur des mots sur Facebook.
Extrait : « Une lecture plaisante mais dont les longueurs ont parfois nuit à mon entrain. Une écriture enlevée et de qualité qui m’a beaucoup plu. »

Sur le blog Lecture Chronique
Extrait : «Et pourtant, j’ai aimé ce livre pour une tout autre raison. Pour sa construction, sa forme lyrique, son époque victorienne ; quel livre magnifique, la recherche est poussée jusque dans l’utilisation de mots inusités depuis des siècles»

Marie31 sur Babelio
Extrait : «Pas un nom commun qui ne soit accolé à un, deux ,trois adjectifs ; et des phrases longues, celà ne m’a pas aidé à apprécier l’histoire.»

DragoLeelooLit sur Instagram
Extrait : «l’auteure nous entraine dans des salons voluptueux et des descriptions riches en couleurs et senteurs..»

Se procurer le roman:

Sur Librinova
Sur Amazon
Sur Fnac.com

L’autrice:

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Le Prix des Auteurs Inconnus:

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2 commentaires sur « Chronique PAI 2022: La Rose des Carcasses »

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