D’ordinaire, lorsque je lâche un livre avant la fin, je m’abstiens d’écrire à son sujet, et même d’y penser plus d’une demi-seconde après l’avoir repoussé. Pourtant celui-ci m’inspire un billet que je ne rédige toutefois pas à chaud. Les heures suivant mon rejet furent consacrées à l’emploi d’un échafaudage, d’une shampouineuse à vapeur, d’une autolaveuse à ultrasons et de soixante-treize hectolitres de sulfonates d’alkylbenzène ramifiés, visant à effacer les déferlantes de vomi que l’ouvrage avait libérées. Ceci fait, j’en touche donc un mot ici, sans citer le titre, qui en réalité n’a aucune importance, tant il en jaillit d’équivalents aussi putrides que branlants chaque jour dans les rayons livresques.
C’était, encore, une « romance » où l’apparence physique et la richesse matérielle légitiment toute forme d’exactions à l’encontre de son, sa, ses partenaires comme l’ensemble de son entourage. Ce qui ne constitue en rien un crime ; au contraire. Ce genre de situations n’est qu’un reflet hélas trop fidèle de nombreuses sociétés actuelles ou disparues. Elles ont toute leur place à l’intérieur d’une œuvre de fiction, comme décor ou comme enjeu. Néanmoins, ce texte et ceux du même tonneau me font dégobiller des geysers de rage et d’amertume, pour deux raisons liées à cet environnement.
D’une part, ces rapports à autrui malsains, brutaux, destructeurs, atteignent ici des conclusions idylliques et sublimes. Une constante dans mes diverses lectures de ce genre, où les incohérences déferlent à une telle vitesse qu’une dernière pour la route, hein… Mais n’essayez pas ça de reproduire chez vous, les enfants. Des comportements de cet acabit, au sein du couple ou ailleurs, résonnent en réalité avec les mots cour d’assises, hospitalisation psychiatrique, réclusion criminelle, coups et blessures ayant entraîné la mort, suicide, meurtre avec préméditation, etc., pour l’une et l’autre des parties en présence. Pas avec épanouissement, délice, euphorie, tendresse et frénésie d’orgasmes.
Pourtant, d’un autre côté, les auteurs vous présentent quand même ces attitudes comme des modèles à suivre, des exemples de réussite amoureuse et sociale, un idéal de conduite et d’idéologie qui vous plongera dans une vie pétillante et exaltante. Attachez-vous donc à des personnes comme celles que vous voyez ici, mes bons amis, c’est le secret du bonheur.
Car, oui, comme si les mécanismes de l’emprise et les injonctions sociales, pour tous les genres confondus, n’étaient pas déjà assez redoutables, assez meurtriers, ils ont droit à leur placement de produit dans tous les secteurs du divertissement, romans, films, séries, blogs, chaînes, profils… Je n’accuse, en aucun cas, les scénaristes, les auteurs, les créateurs quels qu’ils soient, d’inciter en toute conscience à la haine et au mépris. Je constate l’effet ; écraser l’autre, dans une relation amoureuse, professionnelle, amicale, peu importe… devient le meilleur, voire le seul moyen de se réaliser soi-même. Ce qui est d’ailleurs le seul objectif valable, quoi d’autre, non mais ? Voilà qui explique mes gerbes de rage fumantes.
Pour mes flots de bile glaireux, il faut savoir que je passe un nombre d’heures conséquent au sein de la cohorte étique des enseignants, parents, professionnels de santé, vulgarisateurs, bref, éducateurs de tout poil, qui tâchons tant bien que mal de proposer des voies alternatives. Et je suis douloureusement consciente qu’avec notre considération pour autrui, notre maîtrise des pulsions, nos appels à l’humilité, au raisonnement, au renoncement, nous envoyons bien moins de rêve en grosse barre turgescente, notamment envers le public adolescent ou jeune adulte, principal consommateur de ces productions. Lorsque je réalise qu’il suffit de saupoudrer de strass écaillé une paire de culs bien fermes pour anéantir nos efforts puis nos enfants, oui, ça pique.
Tom Larret